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Santé économique et financière dans les pays occidentaux
27 février 2014

La souveraineté des 28 et les intérêts privés

Pendant son récent voyage aux Etats-Unis, Hollande a rappelé l'importance qu'il attachait à la conclusion rapide de la négociation entre l 'Union Européenne et les Etats-Unis sur le partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement, ou PTCI, plus connu sous son titre anglais de TTIP. Cet accord, s'il est conclu, serait le plus important jamais négocié, puisqu'il concernerait un peu moins de 50% du PNB et 30% des échanges mondiaux . Une de ses clauses les plus nouvelles, et les plus contestées, serait de donner aux entreprises multinationales le droit d'attaquer en justice les gouvernements dont elles estimeraient l'orientation contraire à leurs intérêts et susceptibles de réduire leurs profits.

Bien que rien ne soit encore figé, et pour cause,les procédures retenues pour trancher ces conflits seraient de droit privé et rendus par des tribunaux arbitraux désignés par les parties, dont les décisions ne pourraient faire l'objet d'aucun appel devant des instances publiques nationales ou internationales. L'affaire n'est pas nouvelle. Une procédure de même type figurait déjà dans le projet d'accord multilatéral sur l'investissement ( A M I ) négocié en secret de 1995 à 1997 par les pays membres de l' OCDE. Il avait finalement avorté à la suite d'une indiscrétion révélant son contenu qui avait provoqué un tollé tel que ses promoteurs avaient dû le retirer.

Les négociations actuelles étant confidentielles, et tous les négociateurs tenus au secret, on doit s'en remettre aux fuites pour tenter de connaître le contenu de la négociation en cours. Il y en a suffisamment pour que l'on sache que ce futur accord ressemblera beaucoup à son cousin Pacifique TTP et aura de nombreuses dispositions communes avec l'accord économique et commercial global ( AECG) qui a été signé entre l' UE et le Canada, dont, si l'on en croit l'article d' Euractiv cité en référence, celles qui sous couvert de protection de l'investissement permettent aux entreprises d'attaquer les Etats devant les tribunaux privés.

L'annonce de cette possibilité a fini par susciter une telle opposition que Karel de Gucht, le commissaire européen au commerce qui est en charge de la négociation côté européen a jugé plus prudent de reporter les discussions sur ce sujet à une date ultérieure, après les élections européennes.

Sans avoir la compétence d'un juriste, il semble que la partie soit vraiment mal engagée pour les Etats membres de l' UE.Pour ce que l'on peut en comprendre, le danger principal auquel ils sont exposés dans cette affaire est l'asymétrie de la situation entre les pays souverains que sont le Canada et les États-Unis et l' UE qui n'a pas de souveraineté propre, mais, peut au terme des traités européens et avec le soutien jusqu'à présent zélé de la Cour de Justice de l'Union Européenne, imposer sa volonté contre la souveraineté des États membres. On est donc dans une situation où deux pays qui peuvent toujours se retrancher derrière leur constitution et invoquer leur souveraineté nationale afin de protéger leurs intérêts nationaux en déclarant nulles et non avenues des décisions prises par une juridiction privée qui irait à l'encontre de leurs intérêts nationaux, tandis que 28 sont privés de cette possibilité.

Il est fort probable que le gouvernement des États-Unis ne manquerait pas de le faire avec le soutien sans faille de la Cour Suprême. Le récent refus très sec du Sénateur Henry Read, le leader démocrate du Sénat, d'inscrire rapidement à l'odre du jour du Sénat le projet de loi qui donnerait mandat au Président Obama pour négocier seul les accords commerciaux, TTP et TTIP entre autres, sans devoir obtenir un vote positif du Congrès est la dernière manifestation claire de cet attachement farouche à la souveraineté nationale qui est un des fondements non négociables de la nation américaine.

Ces notions de souveraineté et d'intérêt national sont par contre étrangères à l' UE, dont la volonté, bien qu'elle soit plus soumise aux pressions des lobbies et des "marchés" via l'euro et la BCE qu'à la volonté souveraine des peuples des États membres, s'impose pourtant en principe aux souverainetés nationales aux termes des traités.

C'est l' Allemagne, qui par intérêt bien compris, a le plus cherché à imposer ce primat de l'économique sur le politique dans les autres États membres, qui vient, pour la première, de le remettre en cause grâce à la Cour de Karlsruhe. La Cour allemande affirme aussi clairement qu'elle le peut dans le cadre de ses prérogatives, la prééminence de l'intérêt national et de la souveraineté allemande en cas de conflit d'intérêt avec l' UE. 

On ne peut plus faire avancer la "construction européenne" en faisant l'impasse sur cet aspect essentiel, car on ne peut plus cacher que du fait des traités, des accords type TTIP ou AECG mettraient à égalité en droit souveraineté nationale des États membres et "souveraineté des actionnaires" des multinationales, ce qui est absolument inacceptable et juridiquement caduc, sans une consultation préalable des peuples, et ce d'autant plus que comme l'a montré par exemple l'affaire des avions ravitailleurs, il faut une belle dose d'angélisme pour croire que les multinationales européennes ne se verront pas fort légitimement opposer l'intérêt national américain sur le territoire américain quand les autorités américaines le jugeront utile.

La panoplie des barrières dites non tarifaires, notamment celles qui invoquent la protection des consommateurs ou celle de l'environnement n'a en effet pour limite que l'imagination du législateur (souvenons-nous du Concorde et l'absence d'autorisation d'attérir à New-York)). Des accords type TTIP ne les supprimeront que pour les naïfs qui auront la sottise d'appliquer ce genre de traité à la lettre.

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